Afin de permettre à des familles monoparentales de sortir de l’isolement et de mutualiser leurs moyens, l’association Fraveillance a développé en Gironde un programme visant à accompagner ces familles vers le logement via la cohabitation. Le premier pavillon « Famisolos » a été inauguré en Septembre 2019 et permet à des familles de vivre en « colocation », de partager les charges courantes et de s’entraider.

 

Mises en place dans l’après-guerre, les politiques familiales et sociales, qu’elles soient nationales ou locales, ne correspondent plus toujours aux besoins actuels, s’adaptant parfois difficilement à l’évolution des formes de la famille et à l’accroissement du phénomène de monoparentalité. En effet, au 20ème siècle, la monoparentalité résultait surtout du veuvage, qui donnait lieu à l’enclenchement de solidarités familiales et du cercle social. Aujourd’hui, elle est majoritairement liée à la dissolution du couple parental, pour diverses raisons : séparations, divorces, sortie des violences conjugales, etc. Par ailleurs, la proportion de familles monoparentales dans l’ensemble des familles est passée de 9,4 à 23 % entre 1975 et 2014, selon les données du recensement de l’Insee.

C’est dans son expérience personnelle que le fondateur de l’association girondine Fraveillance puise l’idée du projet. En 2015, il se retrouve à élever seul ses trois enfants. Il se rend vite compte des difficultés qu’impliquent la monoparentalité en terme d’accès au logement, de ressources financières, de disponibilité. Pour réfléchir aux actions possibles, il décide de réunir des amis, tous touchés par la question de la monoparentalité. D’abord sous forme de dîners entre amis, les réunions se transforment progressivement en un collectif de citoyens se regroupant autour de la question de la monoparentalité.

Avec un seul revenu, les monoparents subissent des risques plus élevés : 34% d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté, 53% sont affectés par le chômage, 42% résident dans des logements sociaux, 21% sont en situation de mal-logement (surpeuplement ou précarité énergétique). Le collectif pointe rapidement la monoparentalité (qui concerne une famille sur cinq) comme majoritairement féminine (85% des cas). Or, une mère qui élève seule ses enfants subit les difficultés que rencontrent tous les monoparents, auxquelles s’ajoutent les inégalités femmes-hommes : discrimination à l’emploi, salaire perçu moindre, etc. Ces femmes ne peuvent bénéficier que de deux avantages : le RSA majoré (anciennement Allocation Parent Isolé) et la demi-part fiscale en plus, qui ne profite qu’à peu d’entre elles, au regard des revenus très modestes qu’elles perçoivent.

Au fur et à mesure, deux problématiques principales se dégagent des réunions du collectif citoyen : l’accès au logement de ces mères et la lutte contre l’isolement social. Le collectif imagine rapidement que la cohabitation peut répondre à ces deux problématiques car elle fournit « un compagnon de vie » ainsi que le partage des charges liées à l’habitat.

Afin de pouvoir expérimenter cette idée, en 2015 le collectif se transforme en association, « Fraveillance », née de fraternité et bienveillance, les deux valeurs guidant l’action. Bien que la problématique des mères seules soit un élément central de la réflexion du collectif, l’association vise aussi bien à accompagner des mères que des pères seul.e.s. Son objectif est de proposer des actions de soutien à la parentalité, un accompagnement vers le logement autonome et la mise en place de colocations entre familles monoparentales.

Le territoire aquitain est plutôt actif en terme de logement social, avec notamment la mise en œuvre de programmes locaux et nationaux : « cœur de villes », « les journées girondines de l’habitat » ou le « plan logement d’abord ». Pour faire naître le projet, le collectif décide donc de contacter les bailleurs sociaux de Gironde. En 2019, Fraveillance obtient ainsi la mise à disposition d’un premier logement : un pavillon inoccupé depuis plusieurs mois.

Par ailleurs, pour créer un réseau de soutien, l’association entre également en contact avec diverses associations travaillant sur les questions de logement comme la Fondation Abbé Pierre, les compagnons bâtisseurs, etc.

Domaine

Méthodes / Outils

Objectifs et méthodes

Le premier pavillon « famisolo » : la maison des monoparents de Floirac

En septembre 2019, après plusieurs semaines de travaux, Fraveillance ouvre à Floirac sa première « Maison famisolos » appelée « la Maison des monoparents». Le pavillon accueille deux familles : deux mères seules avec au total trois enfants. L’une des familles habitait en centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et une autre était en cours d’expulsion de son logement. Chaque famille dispose au sein du logement d’un espace privé et de l’espace commun : une cuisine et une grande salle permettant de partager des repas, d’organiser des ateliers, etc. Une caisse a été créée par l’association pour pallier aux premières dépenses d’emménagement : ouverture de compte, attente des versements des prestations CAF, déménagement, etc. Le loyer et l’ensemble des dépenses relatives aux familles sont partagés entre les deux familles, en fonction de la composition familiale.

Accompagner les monoparents

En parallèle de la création de colocations, Fraveillance propose différents ateliers. Ils portent d’une part sur le soutien à la parentalité (ateliers jeux-parents, groupe d’échanges sur la séparation, présentation sur l’attachement, etc) et d’autre part sur le vivre ensemble (atelier sur savoir dire oui/dire non, l’affirmation de soi, la communication, etc). Ces ateliers sont accessibles à tous les parents en situation de monoparentalité, qu’ils soient intéressés par la cohabitation ou non.

La participation à ces ateliers est un préalable à tout accompagnement concernant la question du logement, notamment vers une colocation. En effet, ces ateliers permettent aux familles de se rencontrer, d’apprendre à se connaître et de commencer à réfléchir à un futur projet de cohabitation.

Les familles potentiellement intéressées sont repérées et orientées par les différents partenaires de l’action sociale (notamment le Département) et du logement (associations).

Mais la démarche n’est pas pour autant évidente : dans plus de 70% des cas selon Fraveillance, lorsque la cohabitation est proposée à une famille, celle-ci refuse, bien qu’ayant un besoin urgent de se loger. En effet, dans notre société actuelle, où la majorité des ménages est constitué de familles de type « nucléaire », vivre avec une autre famille n’est pas sans poser de questions. D’expérience, ce refus peut s’expliquer par différentes raisons : peur de devoir porter les difficultés des autres en plus des siennes, difficulté au niveau émotionnel et psychologique (familles qui se sentent trop à fleur de peau pour pouvoir supporter d’autres personnes qui n’ont pas les mêmes habitudes), nécessité de se restaurer seule après avoir subi des violences, aspiration à un temps de répit, etc. Les familles qui ne souhaitent finalement pas cohabiter peuvent cependant bénéficier d’un accompagnement global vers le logement par l’association qui les oriente ensuite, via son réseau de partenaires locaux, vers des logements mis à disposition par des bailleurs sociaux ou d'autres acteurs associatifs.

Le vivre-ensemble, un processus à accompagner

Concernant les familles qui désirent cohabiter, le « vivre ensemble » est donc un véritable processus que Fraveillance accompagne en amont et tout au long de la période de cohabitation. Dès le départ, via les ateliers, les familles apprennent à mieux se connaître et à comprendre quelles règles de vie sont importantes à leur niveau. Puis, elles se choisissent entre elles, il n’y a pas de « cohabitation subie ».

Par la suite, les différends qui peuvent survenir sur les manières de faire, sur les règles quotidiennes, sont discutés avec l’aide d’un « médiateur », prestataire de l’association. Selon le type de situation à dénouer, l’association fait appel au professionnel compétent : thérapeute familial ou autre….

Il s’agit aussi de trouver des fonctionnements qui soient justes pour chacun, au fur et à mesure que se présentent les questions : juste répartition de la taxe d’habitation, des charges, etc. Les ateliers contribuent aussi, une fois que les familles ont emménagé, à dénouer les conflits, en ayant une approche collective pour éviter qu’ils ne se cristallisent entre deux familles. L’objectif est donc double : accompagner les monoparents sur le volet « parentalité » et vers le logement.

Les familles qui emménagent en collocation peuvent y rester autant de temps qu’elles le souhaitent. En effet, pour l’association il ne s’agit pas d’une solution de transition mais d’une forme d’habitat en soi qui répond mieux aux problématiques des familles monoparentales en leur permettant de lutter contre l’isolement et de mutualiser leurs moyens.

Les difficultés rencontrées

La création du projet n’a pas été sans poser de difficultés. Le partenariat a été déterminant pour obtenir des soutiens notamment matériels et financiers, comme le premier logement et les fonds nécessaires aux premiers travaux (plus de 100 000 euros). Le processus d’intelligence collective mis en place dans le collectif a aussi été très lourd -au regard de la coordination et de la disponibilité que cela requiert- tout en constituant paradoxalement une vraie force. 

Les difficultés actuelles rencontrées par la Maison des monoparents touchent principalement au « recrutement » et à l’accompagnement quotidien des familles. Les partenaires de l’action sociale et de l’insertion (travailleurs sociaux, associations, CHRS, etc.) orientent les familles vers Fraveillance. Cependant, elles sont identifiées à partir de leur situation de monoparentalité et leur besoin de logement, sans autres « filtres ». Toutefois, si des deux critères sont essentiels, la famille doit être suffisamment stable car cumuler accompagnement sur la monoparentalité et sur l’insertion reste complexe.

Une autre difficulté liée tient à l’intégration des familles dans le processus, qui est long. Par ailleurs, la durée du processus (suivi des ateliers et constitution des colocations par affinités) peut être en décalage avec l'impératif, pour la plupart des familles, de se loger rapidement. Mais ce temps est nécessaire, car il leur permet de savoir si cette solution leur correspond réellement.

Les ingrédients du succès

La réussite de cette initiative tient à différents paramètres et notamment :

  • Une large place donnée au choix. Il n’existe en effet pas de cohabitation subie, les « colocataires » choisissent la cohabitation, et se choisissent entre eux.
  • Un accompagnement à deux niveaux : à la fois sur la question du logement mais aussi sur la parentalité.
  • Un accompagnement quotidien du vivre-ensemble.

Perspectives futures

Concernant la maison des mono-parents de Floirac :

L’enjeu identifié est de continuer à accompagner de manière durable les évolutions et mouvements des familles : nouveau conjoint, nouvel enfant, etc.

Concernant l’activité de l’association Fraveillance :

Si la Maison des monoparents de Floirac a été le premier pavillon de ce type inauguré par Fraveillance-Famisolo, d’autres vont suivre.

En 2021, l’association a pour projet de réhabiliter un grand immeuble à Bobigny (Seine-Saint-Denis), avec un fonctionnement d’habitat partagé mais cette fois en mixant des familles monoparentales et d’autres types de ménages.

En outre, l’association a été retenue pour remplir et faciliter la gestion des colocations avec les familles solos sur un projet d’envergure : une maison « Famisolo » géante à Nantes. L’association assurera l’animation pour développer un habitat bienveillant (mixité intergénérationnelle, cercle de parole…) et solidaire (services partagés, entraide de proximité…).

Bilan

Le premier pavillon ayant vu le jour en Septembre 2019, il est pour le moment difficile de mesurer l’impact.

Voici néanmoins quelques chiffres pour l’année 2019 :

  • 73 familles rencontrées
  • 11 familles qui ont bénéficié d’un accompagnement ayant conduit à un logement autonome (hors collocation)
  • 2 familles logées dans le pavillon de Floirac.

Partenaire(s)

Fraveillance fonctionne grâce à de très nombreux partenaires, qu’ils soient financiers ou sociaux (c’est-à-dire ceux qui orientent les familles), parmi lesquels :

  • Les Compagnons bâtisseurs
  • L’Unaf (Union nationale des associations familiales)
  • Les collectivités territoriales locales : département, villes
  • La Fédération des familles monoparentales
  • Les CHRS / le 115
  • Le Secours catholique
  • Des associations locales comme Toits du cœur à Bordeaux
  • La Fondation Abbé Pierre

Moyens

Humains : Membres co-fondateurs bénévoles qui appuient un salarié (administratif, coordination…) et un service civique (accompagnement du public).

Financiers : Subventions des différents partenaires.

Contact

Jérôme MENDIELA

Fondateur de Fraveillance

Association Fraveillance

Adresse : 10 Rue de Langeac 75015 Paris

Courriel : [email protected]

Site web : http://www.fraveillance.org/

Thématique d'inspiration
Problématique
Enfants et familles au cœur des services